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Tournages dans des lieux patrimoniaux : faire dialoguer production artistique, enjeux d’images et contraintes de conservation.

jeudi 11 juillet |
© K. Mitch

Convoités par des producteurs tant nationaux qu’internationaux, les lieux culturels et les monuments offrent des décors fastueux aux films d’époque, aux fictions contemporaines ou encore aux clips de musique. Alors que les tournages d’Emily in Paris (Darren Star) ou Les Trois Mousquetaires (Martin Bourboulon) ont mis en valeur de nombreux sites patrimoniaux, l’édition 2023 de MUSEVA meetings consacre une masterclasse-débat dédiée aux enjeux de ces tournages hors normes.

Nathalie Cuisinier, directrice adjointe des relations extérieures et sous directrice des événements et des tournages au musée du Louvre, Antonin Depardieu, responsable de production chez FIRSTEP, et Lionel Martin, programmateur chez Live Me If You Can ont été invités à partager leurs expériences en prenant part à cette masterclasse-débat, modérée par Guillaume Dinkel, chef de la Mission mécénat du Musée de l’Armée.

 

Nathalie Cuisinier, quel est le processus de décision pour un site patrimonial afin d’accueillir un tournage ? 

Nathalie Cuisinier : La mission première du musée du Louvre demeure l’accueil du public. Il faut ainsi que le tournage se déroule sur des périodes de fermeture du musée pour ne pas déranger les visiteurs. Il est nécessaire de mener un travail avec les équipes événementielles, pour que les tournages et événements n’interviennent pas en même temps. La question des ressources économiques est exclue pour le musée du Louvre. Ainsi, 80% des tournages n’induisent pas de redevance puisqu’ils sont davantage documentaires et visent à mettre en valeur et faire découvrir les collections du plus grand musée au monde. 

 

Nous avons pu voir des tournages très diversifiés. Comment expliquer ces différences ? 

Nathalie Cuisinier : L’arbitrage est réellement réalisé au cas par cas. Il existe au musée du Louvre une commission hebdomadaire spécialisée qui évalue la faisabilité et l’intérêt des différentes demandes de tournages adressées au musée. Elle est composée d’acteurs variés : conservateurs, agents du secteur des ressources économiques, responsables de communication… Nous avons eu la visite de Jay-z et Beyoncé pour le clip du morceau « Apeshit » : cette demande a été reçue en raison de l’intérêt témoigné par les deux artistes pour l’institution et la volonté de montrer des salles moins connues du public.

 

Antonin Depardieu, après avoir travaillé avec les plus grands réalisateurs d’Hollywood, pouvez-vous nous partager votre expérience sur ces tournages, comme celui de Mission : Impossible, Fallout (Christopher McQuarrie) ? 

Antonin Depardieu : En travaillant avec des productions américaines, il faut réussir à leur faire comprendre l’importance en France du service public, et pourquoi ils ne peuvent pas faire fermer un musée ou lieu patrimonial aussi longtemps qu’ils le souhaitent, même en payant très cher. La compréhension doit d’ailleurs passer dans les deux sens : si les lieux patrimoniaux peuvent avoir l’habitude de privatisations plus classiques, il ne faut pas oublier que les tournages sont des lieux de créations artistiques, qui nécessitent une prise en charge différente. 

 

Vous avez tourné dans des lieux aux envergures très variées. Quelles différences faites-vous entre un tournage à Paris ou dans un lieu patrimonial en région ? 

Antonin Depardieu : Evidemment, lorsque l’on travaille sur Mission Impossible à Paris, ou une production Bollywood à Dijon, la pression est différente. Elle est pour la première production liée au nombre de personnes présentes ou à la concordance entre le script et ce qu’il est possible de faire sur place… Pour la production Bollywood, il s’agit surtout d’accepter l’imprévu : ils apprécient créer avec et sur le lieu, le jour du tournage.

Caméra orientée vers une ville

 

Lionel Martin, vous avez créé le média « Live Me If You Can », où vous prenez le parti de se faire produire des artistes musicaux dans des lieux « atypiques » ou patrimoniaux. Pourquoi choisir ces lieux ?  

Lionel Martin : Cela met en valeur des artistes dans des lieux où on ne les attend pas, et revitalise des lieux culturels ayant du mal à atteindre un public plus jeune. La crise du Covid-19 a été une opportunité pour nous : tous les musées étaient fermés au public et les artistes en incapacité de réaliser des tournées, nous avons pu produire un grand nombre de sessions qui ont ravi les artistes, les auditeurs, et les lieux patrimoniaux. 

 

En tant qu’intermédiaire entre ces lieux et les artistes, comment arrivez-vous à concilier création artistique et nécessité de conservation du patrimoine ? 

Lionel Martin : Les artistes ont conscience des enjeux de conservation. Ils sont reconnaissants de la chance qu’ils ont de pouvoir chanter leurs morceaux dans ces lieux qui les émerveillent, et acceptent ainsi les contraintes imposées par les lieux patrimoniaux. 

 

Auriez-vous, chacun, des exemples d’expériences qui se sont particulièrement bien ou mal passés ? 

Nathalie Cuisinier : La plupart des tournages se passent bien, et heureusement puisqu’ils ne sont pas au cœur du projet du musée. Nous sommes extrêmement contraignants en amont du tournage pour être certains que les producteurs seront en mesure de respecter nos règles. Les contraintes liées aux collections nous poussent justement à imaginer des solutions qui peuvent faire progresser le musée. Toutefois, lorsqu’un tournage est annulé pour des raisons budgétaires ou liées au calendrier, cela peut être frustrant au regard de tout le travail qui a été mené pour la tenue de celui-ci. 

Antoine Depardieu : Tout est très préparé avec les équipes du lieu : les différentes scènes, les protections nécessaires… Tout le monde a conscience que le tournage zéro risques n’existe pas, alors il y a un état des lieux à la fin du tournage, et s’il y a eu des dégradations, nous contactons des professionnels pour les réparer. 

Lionel Martin : S’il y a des mauvaises expériences, elles sont plutôt liées à l’artiste qui peut par exemple ne pas s’être réveillé, plutôt qu’au lieu. 

 

En tant que professionnels, sentez-vous les retombées directes de ces tournages ? Une volonté de « visiter les décors » d’une production particulière ? 

Nathalie Cuisinier : Nous n’avons pas d’indicateur précis, mais ces tournages peuvent donner envie aux visiteurs d’en voir plus, ou attirer des publics qui sont plus éloignés des musées. Certaines personnes vont nous demander de voir des salles en particulier, qu’elles ont aperçues dans un film ou un clip.

Ndlr : Le musée du Louvre propose un parcours de visite spécifique, « sur les pas de Beyoncé et Jay-z ». 

 

Antoine Depardieu : les retombées sont difficilement perceptibles, à moins d’avoir un retour direct du lieu patrimonial. Par exemple, après la production d’un film Bollywood au Mont Saint Michel, ils auraient eu une hausse de la fréquentation d’Indiens, mais difficile de dire si celle-ci aura un impact durable. 

Lionel Martin : Les lieux dans lesquels nous tournons souhaitent proposer par ces tournages une communication différente, changer leur image afin de montrer qu’il y aussi des jeunes qui s’y intéressent.  

Photographie d'une pièce d'un musée