
Entre préservation du patrimoine, engagement territorial et nouveaux modèles économiques, les lieux hybrides s’imposent comme les fers de lance d’une privatisation événementielle à visage humain. Retour sur une masterclasse-débat passionnante, organisée en novembre 2024 lors de la dernière édition de MUSEVA meetings :« Les lieux hybrides : de nouveaux modèles économiques et culturels ? » réunissant des acteurs emblématiques du secteur.
Un patrimoine vacant en quête d’usages
La France compte près de 45 000 monuments historiques, dont un quart est aujourd’hui en péril. Désindustrialisation, désaffectation religieuse, rationalisation des espaces : les usages anciens s’étiolent, laissant derrière eux des bâtis délaissés, parfois en cœur de ville. Face à cette réalité, les lieux hybrides — ou tiers-lieux — apparaissent comme une réponse pertinente pour redonner vie à ces sites, tout en répondant aux enjeux contemporains de transition écologique, de lien social… et de nouveaux usages événementiels.
« Travailler avec du patrimoine vacant, c’est complexe, mais aussi enthousiasmant, explique Delphine Aboulker, directrice adjointe de l’École de Chaillot. Ces lieux hybrides permettent d’hybrider les publics, les fonctions… et les modèles économiques. »
Réhabiliter pour accueillir : la privatisation comme levier
Le Centre des Monuments Nationaux (CMN) ne s’y est pas trompé. En rouvrant l’Hôtel de la Marine à Paris, il a dédié la moitié de ses 12 000 m² à des espaces de coworking. Résultat : un modèle de financement innovant, fondé sur la location d’espaces, qui a permis de soutenir un chantier à 130 millions d’euros. « La privatisation n’est pas une finalité, mais elle devient un outil essentiel pour restaurer, faire vivre et ancrer les monuments dans leur époque », souligne Abla Benmiloud-Foché, directrice du digital et de l’innovation au CMN.
Même logique du côté de La Friche la Belle de Mai, à Marseille. Ancienne usine de tabac devenue coopérative culturelle, la Friche accueille aujourd’hui résidences d’artistes, incubateur, marché bio… et séminaires d’entreprises. « Une centaine d’événements d’entreprise cohabitent chaque année avec plus de 600 événements culturels. La privatisation est ici pensée comme une rencontre entre deux mondes », témoigne Chloé Dufour, responsable du développement.
Une nouvelle grammaire de l’hospitalité
Ces lieux ne se contentent pas de louer des mètres carrés. Au 104, établissement culturel parisien emblématique, chaque événement est intégré dans une programmation globale. « On ne privatise pas le 104. On accompagne chaque organisateur pour que son événement s’insère dans la vie du lieu, tout en respectant notre mission de service public », insiste Karine Iris, directrice du développement commercial.
Pour séduire les marques et entreprises, ces lieux misent sur une hospitalité singulière, mêlant patrimoine, créativité et responsabilité. La consultante Marine Thomas, de Beaux-Arts Consulting, le rappelle : « Ce que recherchent aujourd’hui les entreprises, c’est du sens, une immersion dans un lieu vivant, pas juste un décor. »
Des freins… mais de vraies perspectives
Si le modèle est séduisant, il n’est pas sans contraintes. Gouvernance partagée, co-activité, rigidité administrative ou encore conditions de travail dans des bâtis parfois vétustes sont autant de défis à relever. La question de la rentabilité reste aussi cruciale : « Faire du projet pour faire du projet, sans ancrage local ni modèle viable, c’est le danger à éviter », avertit Chloé Dufour.
Mais les perspectives sont bien là. Privatiser un lieu hybride patrimonial ne se résume plus à organiser un dîner de gala dans un château. C’est participer à une dynamique territoriale, culturelle et sociale. C’est faire événement dans un lieu de vie.
Vers un modèle exportable ?
De Marseille à Mons, en passant par le Grand Paris, ces modèles inspirent et se diffusent. « Chaque année, une centaine de délégations internationales viennent s’inspirer du 104 », affirme Karine Iris. La Friche, quant à elle, multiplie les coopérations européennes sur des projets comme Future Diversities.
À l’heure où les entreprises cherchent à incarner des valeurs et où les sites patrimoniaux cherchent des ressources, la privatisation des lieux hybrides apparaît comme un croisement fécond. Plus qu’une tendance : une transformation structurelle du rapport entre patrimoine, territoire… et événementiel.