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Développer sa marque, privatiser son image : la nouvelle stratégie des institutions culturelles

mardi 24 juin |

Retour sur une masterclasse-débat passionnante, organisée en novembre 2024 lors de la dernière édition de MUSEVA meetings : « Stratégie de marque culturelle et diversification des ressources ? » réunissant des acteurs emblématiques du secteur.

Une mutation discrète mais profonde

Musées, monuments, centres d’art : longtemps perçus comme des temples de la conservation, les lieux culturels s’imposent désormais comme des marques à part entière. À l’heure où les subventions publiques plafonnent et où l’autonomie financière devient une exigence, ces institutions n’ont d’autre choix que d’embrasser une logique de marque. Et cela passe, entre autres, par une stratégie combinée : privatisation d’espaces, mécénat structuré et développement du licensing.

Comme le souligne Charlotte Massip, directrice marketing, communication et mécénat de la Monnaie de Paris, « il ne s’agit plus seulement de valoriser un lieu, mais un univers, une identité, un récit que les partenaires et les publics veulent s’approprier. »

La privatisation : levier immédiat et rentable

Le premier pilier de cette stratégie repose sur la mise à disposition des espaces pour des événements privés. Soirées de marques, défilés, conférences corporate, tournages : les lieux culturels incarnent un imaginaire puissant et rare, que les entreprises sont prêtes à investir.

À l’Opéra de Paris, l’Hôtel de la Marine, ou encore au Musée d’Orsay, la privatisation représente désormais une part significative des ressources propres. Et ce mouvement s’accélère depuis que les lieux savent mieux piloter leur offre événementielle : « Nous travaillons avec des agences, des maisons de luxe, mais aussi des entreprises du CAC 40, en valorisant la cohérence entre leur univers et le nôtre », témoigne Charlotte Massip.

Le licensing : faire rayonner la marque au-delà des murs

Moins visible mais tout aussi stratégique, le licensing permet aux institutions culturelles de capitaliser sur leur notoriété en s’associant à des marques pour créer des objets, collections, ou expériences dérivées. Ce levier est aujourd’hui pleinement structuré dans les grandes institutions comme le Centre Pompidou, le Château de Versailles ou le Musée du Louvre.

Mais d’autres lieux patrimoniaux s’y intéressent de près. Produits dérivés, éditions limitées, collaborations artistiques, marques propres : « C’est un moyen de prolonger l’expérience de visite, tout en générant des revenus additionnels, sans rogner sur les valeurs du lieu », rappelle Alexandre Lacombe, fondateur de l’agence Trend & Culture.

La clef ? Le respect du récit culturel. Plus qu’un logo, il s’agit de transmettre une esthétique, un positionnement, une exigence.

Mécénat et storytelling : la convergence des stratégies

Enfin, le mécénat, qu’il soit financier, en nature ou de compétence, s’intègre de plus en plus dans ces démarches globales de valorisation de marque. Pour être efficace, il ne peut plus être un simple don ponctuel, mais un partenariat sur-mesure, porté par une narration commune.

À la Monnaie de Paris, par exemple, une grande maison horlogère a été intégrée à un projet patrimonial et événementiel pluriannuel. « Ce type de partenariat permet d’aligner nos temporalités, nos objectifs, et de proposer un cadre cohérent où chaque partie tire une forme de valeur symbolique et concrète », détaille Charlotte Massip.

Une nouvelle compétence stratégique pour les lieux culturels

Ces nouveaux modèles appellent une transformation en profondeur des institutions : recrutement de profils issus du privé, création de départements « marque », renforcement des équipes événementielles ou marketing, investissements dans des outils CRM ou e-commerce…

La marque culturelle devient alors une entité vivante, qui rayonne au-delà des murs, qui dialogue avec d’autres marques, qui attire des publics nouveaux… et qui génère de la ressource.

Dans ce paysage en mutation, la privatisation des espaces n’est plus une simple opération ponctuelle : elle s’inscrit dans un écosystème global où licensing, mécénat, et stratégie de marque avancée structurent désormais l’économie des lieux culturels.