Le secteur événementiel peut être considéré au premier abord comme étant à l’antipode des considérations écologiques actuelles. Pourtant, il permet la rencontre, l’échange et la création. A l’heure de la multiplication des normes et des indices de calcul d’empreinte carbone, quelles sont les actions qui peuvent être menées par les organisateurs et les lieux d’accueil d’événements pour tendre vers une gestion plus raisonnée du secteur ? A ce titre, l’édition 2023 de MUSEVA meetings consacre une masterclasse-débat dédiée à l’impact, notamment environnemental, des événements privatifs.
Rose-May Lucotte, co-fondatrice de « Change Now », un événement des « solutions pour la planète », Alice Audoin, présidente fondatrice d’Art of Change 21, mêlant création artistique et environnement et Frédéric Pitrou, délégué général de l’Union Française des Métiers de l’Evénement (UNIMEV) sont invités à prendre part à cette masterclasse-débat modérée par Mathieu Boncour, directeur de la communication et de la RSE du Palais de Tokyo.
Frédéric Pitrou, pourriez-vous nous dresser un panorama du secteur de l’événementiel aujourd’hui ? Ses évolutions, ses dynamiques ?
Frédéric Pitrou : Notre secteur a été très touché par la crise du covid-19 : le premier à fermer, et l’un des derniers à rouvrir. C’est un secteur très important : rien qu’en ce qui concerne les événements professionnels et sportifs (excluant les événements culturels), 1 200 foires et salons sont organisés tous les ans, employant 450 000 personnes. Le sujet de l’environnement est de plus en plus présent, puisque les entreprises se mettent à mesurer leur impact carbone : elles n’iront plus à terme dans les lieux qui sont des passoires énergétiques.
En effet, aujourd’hui la loi oblige toute entreprise de plus de 250 salariés à réaliser un bilan carbone. Est-ce que la pratique est systématique dans les salons ?
Frédéric Pitrou : Il n’y a pas de pratique généralisée. Nous mettons en place des outils de mesure pour que tous les acteurs partagent les mêmes, et non que certains utilisent des calculateurs plus ou moins exigeants que d’autres. L’intérêt de ses outils est surtout de pouvoir mesurer une éventuelle progression d’une édition à l’autre.
Alice Audoin, vous avez-vous-même accompagné beaucoup d’événements, quel est le compte rendu que vous feriez, d’un point de vue de l’impact matériel ?
Alice Audoin : La principale empreinte que nous avons identifiée est celle des visiteurs et de leur transport. Cet élément mis de côté, l’alimentation, le chauffage et la consommation d’énergie sont déterminants. Les décors ont aussi un grand impact. Pour le réduire, il est possible de recycler un certain nombre d’éléments, tels que les moquettes ou le coton des murs utilisés pour la scénographie. C’est ce que la Foire de Paris a décidé de faire cette année, donnant une seconde vie à ces matériaux en tant qu’isolant. D’autre part, les artistes doivent être au cœur de cette transformation culturelle pour changer les pratiques. Au moment de la conception du projet, il faut accepter de traiter la question différemment pour faire de l’événement un événement prestigieux et créatif qui intègre des notions environnementales.
Il y a beaucoup de mesures différentes de l’impact des événements et il peut être difficile de s’y retrouver. Rose-May Lucotte, vous avez réalisé un sommet éco-conçu, comment vous y êtes-vous prise ?
Rose-May Lucotte : Puisque nous ne partions de rien, nous n’avions pas de codes préconçus, ce qui peut être plus simple. Notre sommet invitant des start-up dans le secteur du développement durable, nous leur avons demandé conseil. Nous avons tendance à nous focaliser sur le calcul de l’empreinte carbone, mais il faut penser à l’impact environnemental dès la conception de l’événement pour mettre des mesures efficaces en place. Concrètement : nous avons décidé de ne pas poser de moquette, de travailler sur les décors, d’intégrer l’éco-responsabilité avec les designers pour trouver des solutions de seconde vie aux matériaux utilisés.
On a tendance à penser qu’un événement doit être le plus gros possible, cette course à la taille de l’événement est-elle soutenable ?
Alice Audoin : La question qui se pose aujourd’hui, c’est d’être moins, mais avec des rencontres de meilleure qualité. Lors de l’organisation du prix art éco-conception pour récompenser les artistes ayant une démarche écologique, nous avons décidé de convier peu de public mais c’est en étant dans une dimension collective et d’innovation que nous avons réussi à faire plus de sens avec moins d’invités. Au lieu de remettre un prix, nous avons récompensé vingt-et-un lauréats, qui ont par la suite constitué un collectif.
Frédéric Pitrou et Alice Audoin, l’événementiel a-t-il toujours aujourd’hui une raison d’être ? Pouvons-nous continuer à nous les permettre au regard des ressources planétaires ?
Frédéric Pitrou : Les rassemblements doivent continuer d’exister, ils sont même utiles puisqu’ils permettent d’éviter beaucoup de déplacement : beaucoup de personnes se retrouvent au même endroit, au même moment. Les organisateurs d’événements ont tendance à calculer en valeur relative leur impact : dans leur esprit, tant que le ratio d’impact par participant diminue, même si l’impact global augmente, ils sont dans une logique de soutenabilité.
Alice Audoin : Il ne peut pas y avoir de trajectoire durable si la valeur absolue ne fait qu’augmenter, même si la valeur relative diminue.
Rose May Lucotte, vous avez organisé le sommet « Change Now ». Lorsqu’on accueille des dizaines de milliers de personnes, comment s’assurer du fait qu’elles changent, maintenant ?
Rose May Lucotte : On parle souvent de l’impact comme quelque chose de négatif, mais il peut aussi y avoir un impact positif. Pour le sommet Change Now, nous avons identifié quatre grandes missions. Tout d’abord, accélérer les solutions présentées : les startups ont ici l’occasion de rencontrer des partenaires, des clients, des investisseurs, ce qui permet d’avoir un changement réel. Nous voulons aussi mettre l’accent sur le partage de solutions concrètes et le développement des connaissances. Il faut également inspirer, par l’art notamment : faire comprendre que ce n’est pas forcément un sacrifice mais un avenir qui donne envie. Enfin, nous avons une mission d’influence : nous souhaitons faire venir des décideurs afin qu’ils reçoivent sur place des messages et des outils qui les aideront à prendre les bonnes décisions.
Rose-May Lucotte, vous avez dû vous adapter en privatisant le Grand Palais, puis le Grand Palais Ephémère, comment avez-vous fait ?
Rose-May Lucotte : Il y avait dès le début de gros défis concernant le lieu. Lorsque le Grand Palais a fermé pour rénovation, des points que nous avions relevés, notamment le chauffage ont été abordés. Le Grand Palais devrait à terme être chauffé selon un système de chauffage au sol, et non plus de souffleries qui entraînent une grande déperdition d’énergie.
[Question du public] En tant qu’institution, nous avons souvent des contraintes liées à l’architecture du bâtiment ou aux aspirations du client, quelles solutions préconisez-vous ?
Alice Audoin : Intégrer la direction du développement durable aux discussions peut être une bonne solution. Ces équipes peuvent être force de proposition et permettre d’envisager des solutions et innovations pour ces événements.
[Question du public], Les lieux qui reçoivent des événements ont souvent des objectifs économiques à atteindre, est-ce qu’au Palais de Tokyo, il y a par exemple une charte pour décider d’accueillir ou non un événement ?
Mathieu Boncour : Les lieux culturels ont leur mot à dire sur l’alignement de leurs valeurs avec les événements qui se tiennent dans leurs murs. Il est possible de ne pas tout accueillir sous n’importe quelles conditions.
Frédéric Pitrou : De mon côté, je ne vois pas de gestionnaires de sites refuser des rassemblements, sauf pour des raisons plus religieuses ou politiques. Ils ont besoin d’occuper leurs mètres carrés. Par ailleurs, je voudrais revenir sur la question du recyclage. Cette dynamique de redistribution et de recyclage que vous avez décrite n’est possible que lorsque l’on a du temps, mais quand les événements s’enchaînent, nous ne pouvons pas faire ce genre de choses.